NB : En m’appuyant sur les derniers chiffres de la démographie départementale – analysé notamment par le géographe Laurent Chalard au cours de la décennie qui vient de s’écouler – je compare les dynamiques urbaines de Lille et Douai. Évidemment il s’agit de deux villes très différentes, mais leurs trajectoires respectives en disent long sur les choix politiques qui ont été faits. La première citée, symbolise le modèle de la « métropolisation », tandis que la seconde illustre parfaitement le sort réservé aux villes moyennes depuis plus de trente ans. Un schéma qui doit aujourd’hui être remis en cause. Je précise enfin que l’analyse présentée ci-dessous n’est absolument pas exhaustive et mériterait d’être complétée et enrichie. Si des éléments vous paraissent absents, n’hésitez pas à contribuer au débat en laissant un commentaire. Bonne lecture.
Lille 1 – Dunkerque, Valenciennes, Maubeuge et Douai 0
Avec plus de 2,5 millions d’habitants, le Nord est le département le plus peuplé de France. Situé au cœur du « triangle Paris-Bruxelles-Londres » et bien desservi, notre département a des atouts indéniables. Pourtant, sa dynamique démographique repose principalement sur la métropole lilloise.
Depuis les années 1970, le Nord est soumis à un déficit démographique. Concrètement il y a plus de départs que d’arrivées (le tout étant compensé par une natalité relativement élevé). Mais si l’on étudie de façon plus précise la répartition de la population sur ce territoire, on s’aperçoit d’un déséquilibre.
Ces dix dernières années, ce sont ainsi les communes situées dans la couronne périurbaine de Lille qui ont vu leur nombre d’habitants augmenter. C’est le cas de Tourcoing, Lesquin, Saint-André ou encore Roubaix. En revanche, dès que l’on s’éloigne de la centralité lilloise, il est facile de constater l’effet inverse.
Les autres villes intermédiaires du Nord sont toutes victimes de la concentration des richesses, des emplois et donc des habitants. Dunkerque, Valenciennes et Maubeuge, sont sur la mauvaise pente. Douai – nous le savons que trop bien – n’échappe pas à la règle et connaît elle aussi une lente mais profonde érosion. La cité des Géants comptait encore 50 000 habitants dans les années soixante, puis 43 000 en 2010, avant finalement de passer sous la barre des 40 000 en 2020.
La métropolisation : un phénomène nuisible pour nos territoires
Ces dynamiques démographiques ne sont en réalité que le résultat de dynamiques urbaines et économiques. À partir des années 90, la France souhaite copier le modèle libéral. L’objectif est simple : amener les grandes aires urbaines du pays à concurrencer les grandes villes européennes et mondiales. Paris doit pouvoir tenir le bras de fer avec Londres, Lyon avec Turin, Toulouse avec Barcelone, etc. En organisant le territoire de cette façon, les politiques avaient l’espoir d’un « ruissellement » des richesses. Mécaniquement, (ou « comme par magie » pourrait-on dire), les fractures se réduiraient du fait de la péréquation. Lille deviendrait plus riche, et toutes les communes du département en profiteraient.
Or, de ruissellement il n’y a pas eu et très peu de métropoles françaises sont parvenues à rivaliser avec leurs consœurs européennes.
La conséquence de ce mauvais choix politique est double : socialement et économiquement, les métropoles se sont transformées. Ainsi, il est possible de constater une concentration des activités tertiaires et une surreprésentation des CSP + d’une part, et la destruction des emplois industriels et relégation des couches ouvrières et populaires d’autre part. Ce long processus a ensuite touché les employés, les indépendants, retraités, et a abouti à une fragilisation sociale des territoires.
En définitive, nos capitales régionales, sous prétexte de mener une course à l’attractivité, ont concentré l’essentiel des richesses et creuser les inégalités avec le reste de leur région. Au-delà de trente kilomètres, l’effet du ruisselement s’est arrêté. Lille sort bien évidemment gagnante de cette évolution. Douai était condamnée à perdre. À tout miser sur la première, on a oublié la seconde ainsi que l’ensemble de notre tissu urbain.
La revanche du local ?
La période récente et plus particulièrement le premier confinement aura probablement impact sur les mentalités collectives, qu’il est encore difficile aujourd’hui de mesurer. Toujours est-il qu’avec la crise sanitaire, les villes moyennes paraissent plus rationnelles et mieux adaptées aux enjeux écologiques et sociaux. L’idéologie de la métropolisation s’effrite. De nombreux cadres souhaitent sortir de la logique des embouteillages, de la pollution, de la spéculation immobilière ou même de la gentrification, qui est aussi le cœur de la réalité métropolitaine. Désormais la question de l’hyper-mobilité, des circuits courts, ou d’une vie plus lente refait surface.
La ville moyenne apparaît ainsi comme un lieu à taille humaine. Loin des rencontres Zoom, elle permet de se rencontrer, de s’y retrouver et surtout de se reconnaître. En définitive, nous venons peut-être de tirer la leçon que small is beautiful (Ernst-Friedrich Schumacher).
Cependant aménager autrement et durablement notre territoire ne va pas de soi. Pour attirer ces nouvelles populations, Douai (et plus largement l’arrondissement) devra être en capacité de réindustrialiser une partie de son territoire tout en se tournant vers de l’emploi qualifié dans le secteur tertiaire. L’emploi est évidemment un élément majeur de notre attractivité. Au-delà de celui-ci, les spécialistes s’aperçoivent aussi que ce n’est pas tant la taille et le nombre d’habitants qui compte, que la qualité de vie (école, culture, cadre de vie) et la connexion de la ville au réseau. Une chance pour notre cité qui possède de nombreux atouts !